Des matins heureux (French Edition) by Tal Men Sophie

Auteur:Tal Men, Sophie [Tal Men, Sophie]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Albin Michel
Publié: 2022-03-30T00:00:00+00:00

23

Avec les dents de la fourchette

Le jour de Noël, Guillaume se réveilla avec une drôle d’impression. Celle d’avoir oublié quelqu’un. Il n’avait jamais été très doué pour offrir des cadeaux et cela faisait longtemps que ses parents et ses frères n’espéraient plus rien de lui sous le sapin. Sans compter Virginie qui s’était toujours plainte de son manque d’originalité et qui ne risquait pas d’être déçue cette année. Mais ce n’était pas à elle qu’il pensait. Il pensait à ce drôle de père Noël qui, la veille, lui avait fait livrer un colis, alors qu’il débutait son service, et qui n’avait pas eu besoin de signature pour être reconnu.

– Un matelas gonflable, avait grimacé Gladys en le voyant ouvrir son paquet. Qui peut bien t’offrir une chose pareille ? Pas Virginie quand même ?

Non, pas Virginie. En rentrant, le barman avait pris soin d’installer son lit à côté de l’autre. N’était-ce pas un magnifique concept ? Il ne manquait plus que les boules en plastique et les toboggans pour transformer son salon en aire de jeux. La nuit de Noël, il avait ainsi eu le luxe de dormir à l’horizontale. En diagonale, de travers, dans un sens puis dans l’autre. Bref, il avait peu dormi et ça ne l’étonnait pas, en l’absence de sa colocataire. Le soleil pointait déjà au-dessus des toits quand Guillaume décida qu’il était temps de se lever. Où pouvait-elle bien être à cette heure-ci ? Avait-elle terminé sa nuit de garde ? Avec ses vingt-quatre heures de travail d’affilée, on pouvait dire qu’elle n’avait pas volé son inscription Wonder Woman brodée sur ses gants de boxe. Quel cadeau pouvait-il bien lui offrir en retour ? Un autre meuble à entasser chez elle ? Pourquoi pas son canapé ? Il sourit à l’idée. Et s’il l’invitait à déjeuner ? Un présent éphémère, qui se consomme, sans laisser de traces. Tout à fait la vision qu’il avait de sa propre vie. Il s’approcha de la fenêtre et examina l’enseigne sur le trottoir d’en face. Une crêperie. N’était-ce pas l’endroit parfait pour inviter une plouc ?

– Tu peux me dire ce qui te fait sourire ? le questionna Marie un peu plus tard, alors qu’ils étaient assis face à face, à une des tables à carreaux qui donnaient sur la rue.

– Toi.

– C’est bien ce que je me disais, marmonna-t-elle en triturant sa serviette en papier avec les dents de sa fourchette. Tu te moques de moi.

– Non… J’étais juste en train de me demander si ta vie était aussi mouvementée à Brest. Et si ta serviette allait survivre à ton attaque.

Marie sourit et affaissa sa tête contre sa main avec une moue blasée.

– Il m’arrive tout le temps un tas de bricoles… À croire que je les cherche.

– Ça t’arrive souvent de ramener des patientes chez toi ?

– Jamais ! Pour qui tu me prends ? s’offusqua-t-elle. Mais Elsa, c’est différent, je ne pouvais quand même pas la laisser dormir sur un banc. Cette fille n’a que dix-neuf ans ! Tu réalises ?

Guillaume hocha la tête.

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